Trois semaines à peine après son application, le plan de sécurité de Bagdad, lancé pour ramener l’ordre dans la capitale endeuillée quotidiennement par les violences, n’a mené à rien de tangible. Si le nombre d’Iraqiens tués dans des violences a légèrement baissé en février avec une moyenne de 59 morts par jour, il reste trois fois plus important qu’à la même période en 2006, un sujet qui inquiète semble-t-il le premier ministre qui est déterminé à faire réussir ce plan.
C’est à partir de ce constat que M. Nouri Al-Maliki a déclaré dimanche qu’il procéderait à un remaniement du gouvernement dans les deux semaines à venir, afin de tenter de sauver une coalition aux abois et en proie aux divisions confessionnelles. Ce remaniement devrait être destiné à renforcer le gouvernement et à remplacer les ministres les moins performants, sur fond d’appels à la formation d’une nouvelle coalition qui exclurait les partis accusés de liens avec les factions qui prennent part aux violences.
Il intervient alors que depuis plusieurs mois, des responsables américains poussent M. Maliki à former une nouvelle alliance des « modérés » des deux communautés sunnite et chiite. Concrètement, cela signifierait écarter de la coalition le chef radical chiite Moqtada Sadr, dont la milice de l’armée du Mahdi est accusée par les militaires américains d’être la plus grande menace pour la stabilité de l’Iraq. « Il paraît que le chef du gouvernement iraqien a constaté que le plan mis en vigueur le 14 février est insuffisant. La violence confessionnelle est trop élevée et l’un des principaux acteurs de cette violence est le courant Sadr. Ce chef radical, bien qu’il se soit montré au début pour le plan, a fait volte-face et a appelé le peuple à ne pas le soutenir », souligne le Dr Hicham Ahmad, professeur de sciences politiques à l’Université du Caire. Les sadristes sont en effet actuellement dans le collimateur. Ce qui explique pourquoi des centaines de militaires américains et iraqiens ont mené dimanche des fouilles maison par maison dans le district de Jamila, à la périphérie de Sadr City, fief de Moqtada Sadr et où vivent plus de deux millions de personnes. C’est là que les forces américaines et iraqiennes ont prévu d’ouvrir la semaine prochaine un centre de coordination conjoint.
Ce qui n’a pas manqué de provoquer Falah Hassan, porte-parole des élus sadristes au Parlement, qui a parlé pourtant d’« acte de provocation ». Et a rappelé qu’ils avaient réclamé au premier ministre Nouri Al-Maliki que toute éventuelle arrestation soit faite par l’armée iraqienne.
Rencontre pour sceller une « harmonie »
Les efforts iraqiens déployés pour réduire la violence confessionnelle coïncident avec la tenue le 10 mars d’une conférence internationale associant les grandes puissances et les voisins de l’Iraq, une occasion, selon M. Maliki, de sceller « un accord et une harmonie » internationale autour du pays. L’Iraq y a invité les cinq membres permanents du Conseil de sécurité de l’Onu (Etats-Unis, Russie, Chine, Grande-Bretagne, France) et tous ses voisins. Washington, changeant son fusil d’épaule, a décidé de participer à cette réunion des voisins de l’Iraq pour tenter d’apaiser la situation dans le pays, aux côtés de ses ennemis jurés l’Iran et la Syrie.
Cette conférence sera-t-elle à même de changer la donne politique en Iraq ou au contraire se limitera-t-elle à des recommandations qui resteront lettre morte ? En effet, la réponse dépendra de l’attitude adoptée par les trois principaux acteurs dans cette question, à savoir la Syrie, l’Iran et les Etats-Unis.
Damas, qui aspire à renouer le dialogue avec Washington sur l’ensemble des dossiers proche-orientaux et voit « une lueur d’espoir » dans la réunion de Bagdad, estime via son quotidien Al-Baath que les responsables américains, en y participant, « ont reconnu d’une manière ou d’une autre qu’il y a des pouvoirs et pays dans la région qu’ils ne peuvent ignorer ». « Ce qui nous donne bon espoir (...) c’est la reconnaissance du rôle de l’autre ».
Washington affirme cependant que sa participation à cette rencontre ne signifie pas de changement de politique.
De son côté, Téhéran adoptait cette semaine une attitude opposée à celle de Damas : « rencontrer des Américains en marge de la conférence de Bagdad n’est pas au programme de l’Iran pour le moment », a déclaré le porte-parole de la diplomatie iranienne, Mohammad Ali Hosseini.
« Les résultats de cette conférence dépendent en majeure partie de la position qui sera adoptée par les Etats-Unis, ceux-ci ont découvert qu’avec le même esprit ils n’auront rien. Ils doivent dialoguer avec les deux parties syrienne et iranienne s’ils veulent vraiment réduire la violence. Or si les Américains ne lâchent pas la pression sur Damas et Téhéran, la conférence subira un échec », conclut le Dr Hicham Ahmad. [1]
Comment le président a vu la lumière et changé de politique étrangère. [2]
On l’appelle le moment où George Bush Va vers Jésus. De la même façon que pour sa prise de conscience au milieu de sa vie, qui l’a conduit à arrêter l’alcool et à embrasser le Christianisme, Bush, dans sa sixième année à la Maison Blanche, a opéré une autre conversion radicale, abandonnant une politique étrangère idéologique pour une approche plus pragmatique. C’est ce qu’affirment les experts en affaires étrangères.
En l’espace de deux semaines, l’administration Bush a pris des mesures spectaculaires en direction d’un engagement diplomatique avec deux pays auparavant rejetés comme faisant partie de l’Axe du Mal - en acceptant des contacts avec l’Iran et en ouvrant la porte à la reconnaissance de la Corée du Nord.
A Washington, ce changement a été vu hier comme une compréhension tardive que l’approche de l’administration vis-à-vis du monde - sur l’Irak, sur la prolifération des armes nucléaires et sur la paix au Proche-Orient - n’est pas seulement inefficace, mais dangereuse.
"La chose principale était qu’il y avait un sentiment que la politique étrangère américaine partait en vrille hors de tout contrôle. L’administration observait une série d’échecs après l’autre et ceux-ci commençaient vraiment à causer du tort à la sécurité nationale", a déclaré James Steinberg, ancien conseiller-adjoint à la sécurité nationale, dans l’administration Clinton, qui dirige à présent l’école Lyndon Johnson d’affaires publiques, située au Texas.
D’autres attribuent cette conversion comme étant en partie le produit du point de vue brut de Bush sur le monde. "C’est le point de vue manichéen, basé sur la foi et impulsif du président qui a permis au contingent des va-t-en-guerre, au sein de l’administration, de suivre le chemin qu’il a suivi", a déclaré David Rothkopf, un membre du Carnegie Endowment for International Peace, qui écrit actuellement un livre sur la politique étrangère étasunienne. "Ce n’est que ce changement, en reconnaissant que cette approche ne marche pas, qui a créé un équivalent très proche à ce moment où, à 40 ans, il va vers Jésus".
Le chaos qui se creuse en Irak, les tensions nucléaires croissantes avec l’Iran et la Corée du Nord et l’instabilité au Liban ont aussi servi à discréditer l’approche défendue par les puissances jusqu’au-boutistes au sein de l’administration : le vice-président Dick Cheney et l’ancien patron du Pentagone, Donald Rumsfeld.
Jusqu’à ce que M. Rumsfeld soit saqué en novembre dernier, les deux hommes, amis et alter ego idéologiques de 30 ans, ont formé un front néoconservateur puissant. La sortie de M. Rumsfeld et le départ, un peu plus tôt, d’autres néocons, ont laissé M. Cheney relativement isolé. Cela a permis l’ascension d’un nouveau duo à la politique étrangère : la secrétaire d’Etat, Condoleeza Rice, et le patron de la défense, Robert Gates.
Tous deux sont considérés comme les protégés de Brent Scowcroft, le conseiller à la sécurité nationale du premier Président Bush, dont le point de vue sur le monde est pratiquement diamétralement opposé à celui de son fils. Soutenue par cet allié institutionnel - et une bureaucratie au département d’Etat dominée par des fonctionnaires de carrière plutôt que par des parachutés politiques - Mme Rice a eu plus d’assurance ces dernières semaines pour affirmer son point de vue. En tant qu’amie de longue date du président, elle a aussi son oreille et a été capable de transformer sa politique.
Certains voient les commentaires agressifs récents à propos du soutien iranien pour les milices chiites en Irak comme un signe avant-coureur que des pourparlers pourraient être dans l’air. "Il y a environ un mois, tant Condoleeza Rice que Bob Gates ont fait tous deux des remarques qui disaient ceci : ’Regardez ! Pour que les négociations parviennent à réussir, vous devez obtenir que le contexte soit juste’, disait Paul Serwer, le vice-président de l’Institut étasunien pour la Paix. "J’avais espéré que ce qu’ils faisaient avec toutes ces manœuvres et ces mesures énergiques était d’obtenir que le contexte soit juste".
De tels changements, comme ils sont apparus cette semaine, n’ont pas été instantanés, mais ils pourraient même être d’une portée plus considérable. Philip Gordon, un spécialiste de politique étrangère à la Brookings Institution, a publié un article sur la politique étrangère étasunienne en juillet dernier intitulé "La Fin de la Révolution Bush".
Il remarque des changements dans la politique étrangère des Etats-Unis dès 2005, lorsque le Président Bush, lors d’une tournée de l’Europe, s’est efforcé de rendre visite à la France et à l’Allemagne - un changement par rapport à son itinéraire de 2001 qui a vu le président dédaigner ceux qui le critiquaient. M. Gordon fait aussi remarquer que Mme Rice, dans sa première année en tant que secrétaire d’Etat, a passé beaucoup plus de temps que son prédécesseur, Colin Powell, à courtiser les alliés européens, passant en Europe, en 2005, 70% du temps qu’elle passe à l’étranger.
Dans un autre renversement de politique étrangère moins remarqué, l’administration, il y a deux ans, dans une tentative d’améliorer son image, a commencé à réviser sa position sur l’aide internationale et le changement climatique.
Hier, l’adoucissement de la ligne sur la Corée du Nord et l’Iran était aussi lié à la réalisation croissante que la position des Etats-Unis avait été basée sur des renseignements erronés. Dans une répétition du fiasco des services des renseignements lors de la montée en guerre contre l’Irak, il apparaît maintenant que les agences américaines avaient surestimé la menace posée par les programmes nucléaires de Pyongyang et de Téhéran.
"A l’intérieur de tout cela se trouve un problème bien plus grand", a dit M. Rothkopf. "Une fois encore, cela souligne à quel point le monde du renseignement est mauvais lorsqu’il s’agit de s’occuper de la mission la plus critique qui lui est confiée : mesurer les menaces existentielles et armées."